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Chroniques
Ipermestra | Hypermestre
opéra de Francesco Cavalli
Ferdinand II de Toscane avait un frère cardinal et protecteur des arts. C’est lui, le prince-évêque Giovanni Carlo, qui, pour fêter en grand faste la venue au monde de Felipe Próspero (20 novembre 1657), fils de de Marie-Anne d’Autriche et de Philippe IV, roi d’Espagne, commandait à Francesco Cavalli un nouvel opéra, ou plus exactement une festa teatrale en trois parties dont le livret fut confié au médecin pisan Giovanni Moniglia. Le 18 juin 1658, Ipermestra à Florence, au Teatro della Pergola, c’est-à-dire la salle privée du Grand Duc lui-même. Sa cour accueillit la noblesse européenne à l’événement auquel participèrent de nombreux artistes mais aussi certains aristocrates. Il n’aura cependant guère porté chance à l’Infant d’Espagne puisqu’il mourut à l’âge de quatre ans.
Puisé dans la mythologue grecque, l’argument d’Ipermestra est particulièrement sanglant. Le roi d’Aergo Danao s’accorde avec son frère jumeau Egitto pour que ses cinquante filles épousent les cinquante fils de ce dernier. Ce qu’Egitto ne sait pas, c’est que les demoiselles ont pour ordre de trucider leur époux durant la nuit de noces. Par ce subterfuge, Danao entend étouffer la lignée concurrente car masculine et se maintenir seul au pouvoir, car un oracle l’a terrifié, qui prédisait qu’un de ses neveux le destituerait du trône. L’ouvrage de Cavalli est donc avant tout une tragédie, avec ses quarante-neuf cadavres. Pourtant, l’affaire se termine bien : rééllement amoureuse de son cousin Linceo, Ipermestra n’hésite pas à défier le pouvoir du père. Furieux et d’autant plus apeuré, il fait emprisonner sa propre fille désobéissante qui a refusée de lever la main sur son mari, lequel s’est exilé loin. Le temps de constituer une armée et le voilà de retour, menant combat contre son oncle pour libérer l’héroïne et prendre la cité. Une intrigue amoureuse parallèle voit le jour entre un général de Danao, Arbante, et la jeune Elisa, suivante de la princesse rebelle. Deus ex machina, un paon enchanté intervient en sauvant Ipermestra qui s’est jetée de la tour. La paranoïa du monarque est déjouée. L’amour triomphe.
Dans le décor très oriental de Stuart Nunn, Graham Vick, qui n’avait plus signé de mise en scène à Glyndebourne depuis une vingtaine d’années, transpose l’épisode des Danaïdes chez les émirs du pétrole. Derrière le somptueux palais des noces se laissent voir les barbelés d’une zone surveillée. Bientôt, on distingue les puits de pétrole, tandis que le grand salon d’apparat se transforme en sinistre salle d’exécution. Le troisième acte s’accomplit dans les flammes d’une guerre d’aujourd’hui, conforme à ces images qu’on connaît tous. À part redire que la nature belliqueuse des régnants ne change pas, ni selon le lieu ni selon l’époque, la production s’enlise dans une volonté de coller à tout prix à l’actualité, jusqu’à sacrifier le prologue d’origine dont le contenu spirituel aurait disqualifié la transposition. En cherchant bien, on trouvera peut-être que la folie de Danao, convaincu par un oracle invérifiable, équivaut au fanatisme religieux qui tue au nom d’une fable pas plus vérifiable. Au tout début de la représentation, le surtitre arabe de l’annonce demandant qu’on coupe son téléphone mobile peut faire rire. L’idée d’intégrer les instrumentistes et le chef en musiciens arabes au service des divertissmeents du palais est beaucoup moins frivole, car elle questionne une fonction d’éloge politique, pour ne pas dire de propagande, qu’a parfois remplie l’opéra de cour.
L’interraction des musiciens de l’Orchestra of the Age of Enlightenment avec le plateau, à travers plusieurs interventions, reste l’élément le plus intéressant du spectacle. C’est dans ce jeu que s’installe le va-et-vient de la tragédie à la comédie, va-et-vient qui caractérise le style de Cavalli. À la tête de la formation britannique ici réduite à une douzaine d’instrumentistes, William Christie mène une lecture très claire. On ne retrouve pourtant pas les couleurs de Cavalli, peut-être parce l’ouvrage serait d’une écriture moins inspirée.
Pour cette nouvelle résurrection d’un opéra de Cavalli, à la suite des récents Eliogabalo, Giasone, Calisto, Elena, Egisto, Ormindo ou encore Ercole amante [lire nos chroniques des 2 mai et 25 janvier 2017, du 16 septembre 2016, du 9 juillet 2013, du 1er février 2012, du 3 mai 2007 et du 28 septembre 2006], le Glyndebourne Festival, toujours tellement soigné [lire nos chroniques des 25 et 26 juin 2008, réunit une distribution exemplaire. Le jeune et très talentueux soprano hongrois Emöke Baráth incarne avec beaucoup de charme Ipermestra. La précision des récitatifs et l’intensité des airs fait plaisir à entendre. Le rôle de Linceo est confié au contre-ténor Raffaele Pe, agile et stable. Le ténor Benjamin Hulett compose avec le timbre pour faire évoluer psychologiquement le personnage d’Arbante. La limpidité d’Ana Quintans sert honnêtement la partie d’Elisa. Renato Dolcini fait de l’effet en Danao, parce que sa voix de baryton est particulièrement expressive et parce que l’artiste a une présence appréciable sur scène. Bravo aussi au ténor Mark Wilde qui se charge du rôle travesti de Berenice, touche comique de l’opéra, bien que Graham Vick surprenne en le montrant suicidaire.
On sort un peu décontenancé de cette représentation bizarre, mais tout de même heureux d’avoir découvert un autre visage de Cavalli et dans ce cadre privilégié.
HK